Pour les femmes, il faut des politiques fiscales progressistes

Par Magdalena Sepúlveda  

Le 12/04/2018

En Afrique, les organisations de femmes peuvent être fières d’elles: grâce à leurs luttes, les cadres juridiques ont été modifiés afin de promouvoir l’égalité des sexes. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes parviennent à gagner un revenu par elles-mêmes, leur participation au marché du travail s’est accrue (ndlr: sauf au Maroc où la participation des femmes a reculé de 7 points en 15 ans) et les écarts dans la qualité de l’emploi entre les femmes et les hommes se sont mondialement réduits.

Il reste cependant beaucoup à faire. Les femmes gagnent nettement moins que les hommes. Plus de 75% des femmes d’Afrique et d’Asie sont  dans l’informel sans protection sociale, selon l’ONU-Women.  S’occuper des enfants et des personnes âgées, faire le ménage et la cuisine… restent des «missions de femmes», missions gratuites, ce qui limite leurs possibilités d’éducation, de formation ou d’emploi et rend impossible l’autonomisation économique.

Les femmes souffrent, les multinationales trichent

Aujourd’hui, l’Afrique est à la croisée des chemins. L’engagement renouvelé en faveur de l’égalité des sexes et des droits de l’homme, à travers l’Agenda 2030 pour le Développement durable, est mis en échec par  une situation économique moins favorable. Les gouvernements mettent en œuvre des politiques d’austérité aux conséquences dévastatrices pour les populations non protégées.

Au sein de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les  sociétés (ICRICT), nous sommes convaincus que faire avancer les droits des femmes dans la région exige une remise en question plus large. L’égalité des sexes ne peut être réalisée sans une réforme de la fiscalité des multinationales.

Les politiques budgétaires ne sont pas neutres: elles peuvent promouvoir ou entraver l’égalité des sexes. En raison de la diversité et de l’inégalité des postes occupés par les femmes et les hommes sur le marché du travail, en tant que consommateurs, producteurs, propriétaires de biens et/ou responsables de l’«économie des soins» de la famille, les femmes et les hommes sont différemment affectés par les politiques fiscales.

Abus fiscal

Dans le même temps, l’opinion publique constate que de nombreuses multinationales ne paient qu’une fraction de leurs impôts, comme l’a révélé une nouvelle fois le scandale des «Paradise Papers».
Le plus choquant, pour les citoyens, est de comprendre que ces abus fiscaux sont légaux. Les règles actuelles permettent aux entreprises, au lieu de déclarer leurs bénéfices dans le pays où leur activité économique a lieu, de le faire dans un autre pays avec un taux d’imposition plus bas, voire nul. Ce système perpétue la concurrence fiscale, faisant pression sur les pays pour qu’ils adoptent des taux d’imposition sur les entreprises de plus en plus bas.

Lorsque les multinationales ne paient pas leurs impôts, cela signifie que les Etats disposent de moins de ressources pour investir dans les services publics tels que l’éducation, la santé, les soins aux enfants, l’accès à des systèmes judiciaires efficaces et l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Cette dynamique exacerbe l’inégalité entre les sexes, car les femmes sont surreprésentées parmi les pauvres et parmi les emplois précaires ou mal rémunérés.

Ce sont également elles qui assument la plus grande part des soins à la famille, non rémunérés, lorsque les services sociaux sont amputés. La fermeture d’une crèche signifie souvent pour une femme qu’elle devra quitter son emploi pour garder ses enfants.

La charge sur les petits

En outre, lorsque les pays voient leurs recettes fiscales diminuer – les multinationales ne payant pas leur juste part – les gouvernements compensent cette perte en augmentant la charge fiscale des petites et moyennes entreprises et sur les citoyens et les familles (en augmentant les impôts sur la consommation tels que la taxe sur la valeur ajoutée, TVA). Là encore, ces mesures frappent plus les femmes.

Elles sont plus nombreuses dans les petites entreprises (les moins susceptibles de se soustraire à l’impôt) et, comme elles sont généralement responsables de l’achat d’aliments et de biens de consommation pour le foyer, elles souffrent plus des hausses d’impôts indirects.

Chaque fois que les gouvernements réitèrent leurs engagements en faveur des droits des femmes, il serait bon de leur rappeler que sans des politiques fiscales progressistes, nous ne pourrons pas faire avancer l’égalité des sexes ou garantir les droits des femmes.

Magdalena Sepulveda, ancienne Rapporteure spéciale des Nations unie ssur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme, est actuellement membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés (en anglais: ICRICT). Sont aussi membres de cette ONG les célèbres Thomas Piketty (Professeur à Paris et auteur du best-sellerd’histoire économique «Le capital auXXIe siècle») et Gabriel Zucman (lui aussi enseignant d’histoire économique, auteur de «La richesse cachée des nations»), leprésident de l’ICRICT -http://www.worldpsi.org/fr/declaration-de-licrict- actuel est José Antonio Ocampo qui considère que«les stratégies des multinationales pour nepas payer d’impôts constituent une attaque aux droits de l’Homme» (Ph. L. O.)

http://www.leconomiste.com/article/1026765-pour-les-femmes-il-faut-des-politiques-fiscales-progressistes