L’injustice fiscale a le visage d’une femme

Magdalena Sepúlveda *

7 mars 2018

Photo: Agence France-Presse

Photo: Agence France-Presse

Les organisations de femmes des pays en voie de développement peuvent être fières d’elles-mêmes : grâce à leurs luttes, les cadres juridiques ont été modifiés afin de promouvoir l’égalité des sexes. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes parviennent à gagner un revenu par elles-mêmes, leur participation au marché du travail s’est accrue et les écarts dans la qualité de l’emploi entre les femmes et les hommes se sont réduits.

Il reste cependant beaucoup à faire. À conditions de travail égales, les femmes gagnent nettement moins que les hommes. Elles continuent de se concentrer dans des emplois informels et sans conditions de travail décentes. Plus de 75 % des femmes d’Afrique et d’Asie travaillent dans le secteur informel sans la moindre protection sociale, selon l’ONU Femmes, l’agence dédiée aux femmes des Nations unies.

En outre, elles assument toujours une part disproportionnée des tâches domestiques, un travail non rémunéré. S’occuper des enfants et des personnes âgées, faire le ménage et la cuisine restent des « missions de femmes », ce qui limite leurs possibilités d’éducation, de formation ou d’emploi et rend impossible l’autonomisation économique.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. L’engagement renouvelé en faveur de l’égalité des sexes et des droits de l’homme, à travers l’Agenda 2030 pour le développement durable, est mis en échec par une situation économique moins favorable. Les gouvernements mettent en oeuvre des politiques d’austérité aux conséquences dévastatrices pour les populations non protégées. Dans le même temps, l’opinion publique constate que de nombreuses multinationales ne paient qu’une fraction de leurs impôts, comme l’a révélé une nouvelle fois le scandale des Paradise Papers.

Légalité des abus fiscaux

Le plus choquant, pour les citoyens, est de comprendre que ces abus fiscaux sont légaux. Les règles actuelles permettent aux entreprises, au lieu de déclarer leurs profits dans le pays où leur activité économique a lieu, de le faire dans un autre pays ayant un taux d’imposition plus bas, voire nul. Ce système perpétue la concurrence fiscale, faisant pression sur les pays pour qu’ils adoptent des taux d’imposition sur les entreprises de plus en plus bas.

Au sein de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT), nous sommes convaincus que faire avancer les droits des femmes exige une remise en question plus large. L’égalité des sexes ne peut être réalisée sans une réforme de la fiscalité des multinationales.

Car les politiques budgétaires ne sont pas neutres : elles peuvent promouvoir ou entraver l’égalité des sexes. En raison de la diversité et de l’inégalité des postes occupés par les femmes et les hommes sur le marché du travail, en tant que consommateurs, producteurs, propriétaires de biens et/ou responsables de l’« économie des soins » de la famille, les femmes et les hommes sont différemment affectés par les politiques fiscales.

Lorsque les multinationales ne paient pas leurs impôts, cela signifie que les États disposent de moins de ressources pour investir dans les services publics tels que l’éducation, la santé, les soins aux enfants, l’accès à des systèmes judiciaires efficaces et l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Cette dynamique exacerbe l’inégalité entre les sexes, car les femmes sont surreprésentées parmi les pauvres et parmi les emplois précaires ou mal rémunérés. Ce sont également elles qui assument la plus grande part des soins à la famille, non rémunérés, lorsque les services sociaux sont amputés. La fermeture d’une crèche signifie souvent pour une femme qu’elle devra quitter son emploi pour garder ses enfants.

En outre, lorsque les pays voient leurs recettes fiscales diminuer — les multinationales ne payant pas leur juste part —, les gouvernements compensent cette perte en augmentant la charge fiscale des petites et moyennes entreprises et celle des citoyens et des familles (en augmentant les impôts sur la consommation telle que la taxe sur la valeur ajoutée, la TVA). Là encore, ces mesures frappent plus les femmes. Elles sont plus nombreuses dans les petites entreprises (les moins susceptibles de se soustraire à l’impôt) et, comme elles sont généralement responsables de l’achat d’aliments et de biens de consommation pour le foyer, elles souffrent plus des hausses d’impôts indirects.

Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, alors que les gouvernements réitèrent leurs engagements en faveur des droits des femmes, il serait bon de leur rappeler que sans des politiques fiscales progressistes, nous ne pourrons pas faire avancer l’égalité des sexes ou garantir les droits des femmes.

* Membre de la Commission indépendante sur la réforme de l’impôt international des sociétés (ICRICT). L’auteure a été rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.

http://www.ledevoir.com/opinion/idees/522011/l-injustice-fiscale-a-le-visage-d-une-femme