Pour en finir avec l’injustice fiscale, l’Afrique doit taxer davantage les multinationales

Le 22 décembre 2019

Par Léonce Ndikumana

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Sur le papier, les prévisions de croissance pour l’Afrique en 2020 auraient de quoi faire pâlir d’envie le reste du monde. Avec une augmentation de 3,6% de son produit intérieur brut selon le Fonds Monétaire International (FMI), le continent fera mieux que le reste du monde. Mais on est loin, très loin, de ce dont la région a besoin pour répondre aux attentes fondamentales de sa population.

Car le véritable enjeu est la réduction des inégalités. Alors que l’Asie a réussi à réduire l’extrême pauvreté, c’est-à-dire le nombre d’habitants vivant avec moins de 1,90 dollars par jours, il ne cesse d’augmenter en Afrique. Si rien ne change, la région pourrait compter 90% des pauvres du monde d’ici 2050, avertit la Banque Mondiale.

Bien sûr, l’Afrique a gagné près de onze ans d'espérance de vie depuis le début du siècle. Mais alors qu'elles ont nettement reculé ailleurs, les maladies infectieuses continuent à faire des ravages en Afrique subsaharienne, et font craindre le pire face à des pathologies émergentes, comme l’épidémie d’Ebola. Et l’impact des inégalités est criant. Au Sénégal par exemple, la mortalité des moins de cinq ans est deux fois et demie plus élevée chez les 20% les plus pauvres de la population que chez les 20% les plus aisés.

La crise climatique est plus inquiétante encore. L’Afrique est le continent le moins responsable du réchauffement climatique ,mais elle est aujourd’hui frappée de plein fouet par ses conséquences : sécheresse prolongées, inondations à répétition, déclin des rendements agricoles, accès à l'eau de plus en plus limité. Des catastrophes qui augmentent les risques d’insécurité alimentaire et d’épidémies, aussi bien dans le milieu rural qu’urbain. Alors que 86 des 100 villes aux croissances les plus élevées du monde se trouvent en Afrique, 79 d’entre elles – dont 15 capitales - sont confrontées à des risques extrêmes liés au changement climatique.

Les Etats africains sont aujourd’hui incapables de faire face à ces défis de développement. Leurs faibles ressources sont en outre, pour beaucoup, saignées par des contextes sécuritaires de plus en plus préoccupants. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, par exemple, consacrent 4 % de leur PIB à leur armée. Pour financer des services publics de qualité contribuant à la réduction des inégalités, les Etats doivent obtenir d’urgence plus de ressources fiscales. Celles-ci ne représentent que 18,2% du PIB en moyenne en Afrique contre 40 % pour une économie avancée typique. Or les recherches d'Oxfam ont montré que si les pays à faibles revenus parvenaient à augmenter de 2 % leurs ressources fiscales en 2020, cela ajouterait 144 milliards de dollars à leur budget.

Pour collecter plus, les Etats africains doivent certes améliorer leur administration, mais ils surtout élargir leur assiette fiscale en faisant payer les multinationales des impôts reflétant proportionnelles à leurs bénéfices. Ces dernières, surtout dans le secteur des ressources naturelles, négocient des réductions fiscales qui pèsent lourd sur les finances publiques. Au Mali, par exemple, le montant total des exonérations s'élevait à 203,4 milliards de francs CFA en 2015, soit trois fois et demie le budget de l'éducation. Le pire est que par ailleurs les multinationales profitent d’un système fiscal international dépassé qui leur permet de déclarer en toute légalité leurs bénéfices dans les paradis fiscaux et ne payer ainsi aucun impôt.

C’est pourquoi 2020 constitue une année clef. Les scandales d’évasion fiscale ont en effet poussé l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) à proposer une refonte des règles fiscales internationales. Mais ses idées sont loin d’être satisfaisantes, comme le souligne dans son dernier rapport la Commission pour la réforme fiscale ICRICT dont je suis membre. L’OCDE n’envisage de redistribuer qu’une part limitée des bénéfices totaux des multinationales, et elle voudrait que cette répartition (et donc les impôts qui en découlent) se fasse en fonction du seul critère des ventes. Cela profiterait aux pays riches où résident l’essentiel des consommateurs, alors que prendre également en compte l’emploi, comme le suggère le G24, un groupe de pays en développement, serait beaucoup plus équitable.

Il est impératif que les pays en développement se fassent entendre en janvier lors de la prochaine réunion organisée par l’OCDE à Paris. De cette rencontre pourrait surgir les bases d’un nouveau système fiscal susceptible de s’imposer au monde entier durant plusieurs décennies. Si les gouvernements africains ne prennent pas conscience des enjeux, et s’ils ne sont pas représentés à ce rendez-vous critique, il sera trop tard. 

Léonce Ndikumana est professeur d'économie et directeur du Programme des politiques de développement africain à l'Institut de recherche en économie politique (PERI) de l'Université du Massachusetts à Amherst et membre de la Commission pour la réforme fiscale ICRICT.

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