Avancée historique, le futur impôt mondial ne sera pourtant pas la panacée

Hong Kong, l’un des pires paradis fiscaux au monde, ne perdra pas tout son attrait après l’éventuelle entrée en vigueur du nouvel impôt international sur les sociétés. © Photo : Robert Bye, Unsplash

Hong Kong, l’un des pires paradis fiscaux au monde, ne perdra pas tout son attrait après l’éventuelle entrée en vigueur du nouvel impôt international sur les sociétés. © Photo : Robert Bye, Unsplash

Le projet d’impôt sur les sociétés de 15 % applicable dans tous les États mondiaux n’est ni juste ni suffisant, selon plusieurs économistes et ONG. Explications.

La future instauration d’un impôt minimum mondial sur les sociétés sera une avancée historique. Actuellement, 40 % des 990 milliards de bénéfices des multinationales s’évaporent vers des paradis fiscaux, selon l’ONG Eutax ainsi que des économistes tels Thomas R. Tørsløv, Ludvig S. Wier et le Français Gabriel Zucman, spécialistes de ce sujet. Ce serait le cas pour 25 % des profits des banques européennes, dont le Crédit Agricole, BNP Paribas, BPCE, le Crédit Mutuel et la Société Générale.

Pourtant, le projet d’impôt adopté, le 8 octobre 2021, par 136 États sous la houlette de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), puis, le 13 octobre, par le groupe des vingt pays les plus riches du monde (G20), comporte plusieurs points de faiblesse.

Un taux assez faible

Le taux prévu pour toutes les entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires est de 15 %. Selon l’OCDE, il permettra de récupérer 150 milliards de dollars. C’est mieux que les 0 % actuels à Singapour, aux îles Cayman ou dans les principaux paradis fiscaux identifiés par l’ONG Tax Justice Network. Mais s’il était de 21 %, comme envisagé dans premier temps par les États-Unis (car c’est leur taux fédéral),la réforme permettrait d’en engranger le double », selon quatorze économistes membres de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (Icrict), dont le prix Nobel Joseph E. Stiglitz. Avec un taux de 25 %, préconisé par Eutax, l’Union européenne récupérerait 170 milliards d’euros », dont 26 milliards pour la France (soit l’équivalent de son budget de l’Enseignement supérieur).

Un risque de nivellement vers le bas

En France, après avoir été de 50 % jusqu’en 1985, le taux d’imposition des sociétés est actuellement de 26,5 %. Aux États-Unis, il est passé de 45 % en 1987 à 21 % actuellement. La même baisse a été observée dans la plupart des pays développés, s’entraînant mutuellement vers le bas. Le taux de 15 % est inférieur à ce qui est pratiqué dans tous les pays de l’OCDE (sauf le Chili, la Hongrie, l’Irlande, la Lituanie et la Suisse). Plusieurs ONG redoutent que les pays développés prennent prétexte de ce taux mondial « plancher » pour continuer à abaisser le leur. Les États taxant leurs entreprises à 20 ou 30 % les désavantagent face aux multinationales qui peuvent délocaliser leurs profits dans des pays ne les taxant qu’à 15 %. L’optimisation fiscale n’est pas morte.

Des bénéfices pas tous taxés

À l’impôt plancher de 15 %, l’OCDE ajoute un deuxième dispositif qui redistribuera aux États une partie des profits réalisés sur leur territoire par des entreprises qui n’y payaient pas d’impôts, parce qu’elles n’y possèdent pas d’implantation. C’est le cas d’Amazon, Facebook ou Google en France. Cet autre « pilier » devrait rapporter 125 milliards de dollars. Mais il y a de gros bémols. D’une part, seule la centaine de multinationales mondiales réalisant plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires y sera astreinte. Dont, en France, 23 seulement de celles qui figurent au Cac 40. De plus, si leurs bénéfices doivent être taxés à 25 %, ce sera uniquement sur la partie située au-dessus d’un seuil de marge de 10 %. Si l’on prend pour référence la rentabilité moyenne des entreprises françaises, cela signifie qu’un tiers des bénéfices ne sera pas soumis à cet impôt.

Des exceptions…

Trois types d’entreprises réalisant plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires échapperont à cet impôt. L’OCDE estime en effet qu’elles sont déjà convenablement imposées dans les pays où elles exercent leur activité. Il s’agit des compagnies maritimes, qui ont pourtant inventé les paradis fiscaux dès l’entre-deux-guerres grâce aux pavillons de complaisance. Autres activités exclues, la finance, le pétrole et les mines. Toutes réputées pour leur transparence fiscale.

… et des exonérations

On appelle ça du joli nom de « carve-out ». Cela consiste à déduire de l’impôt dû par une entreprise dans un État donné, l’équivalent d’un certain pourcentage (en l’occurrence 5 %) de la valeur des actifs (stocks, équipements) qu’il y détient, ainsi que de la masse salariale qu’il y dépense. C’est comptable, donc assez complexe. Mais le résultat est simple : selon Eutax, « cela réduira de 15 à 30 % les recettes fiscales dues aux États de l’Union européenne ».

Une redistribution qui profiterait aux pays riches

Selon l’ONG Oxfam, les pays les plus pauvres ne récupéreront que 3 % du produit de l’impôt qui sera payé par les cent plus grandes multinationales, alors qu’ils représentent un tiers de la population mondiale. Les États du G7 et l’Union européenne, qui ont façonné les critères de répartition, en récupéreront les deux tiers ».

Pas gagné à Washington

Les États-Unis produisent un cinquième de la richesse mondiale et la valeur de leurs entreprises représente la moitié de la capitalisation boursière mondiale. L’accord de l’OCDE ne se fera donc pas sans eux. Il est d’ailleurs resté encalminé tant que Donald Trump faisait blocage. Joe Biden (bien qu’élu de l’État du Delaware, authentique paradis fiscal made in USA), y est favorable. Encore faut-il que le Congrès (le Sénat plus la Chambre des représentants) l’adopte. Or, les Républicains tiennent la moitié des cent sièges du Sénat.

ICRICT