COP26 : face à la dette climatique, mieux taxer les multinationales

7 novembre 2021 à 16:42

Mis à jour le 8 novembre 2021 à 09:14

Par Léonce Ndikumana

Trouver les fonds nécessaires au financement de la lutte contre le dérèglement climatique peut sembler ardu. Pourtant, ces ressources existent, notamment dans les paradis fiscaux, où multinationales et multimillionnaires les dissimulent.

Le Kényan Ukur Yatani, secrétaire d’État auprès du ministre des Finances et de la Planification, et l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, lors de la COP26 à Glasgow, le 3 novembre 2021. © Yves Herman/REUTERS


Pour une fois, l’essentiel des débiteurs ne sont pas en Afrique, mais au Nord. Je parle bien sûr de la dette climatique, alors que les catastrophes naturelles se multiplient, et que la lutte contre le dérèglement climatique est devenue une question existentielle. Les pays industrialisés ont utilisé l’espace atmosphérique disponible pour se développer et s’enrichir en exploitant les énergies fossiles. La Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) qui se tient actuellement à Glasgow doit être l’occasion de reconnaître cette dette à l’égard de l’Afrique et des pays en développement en général, et de l’honorer.

Comptes camouflés

Avec 4 % des émissions mondiales, l’Afrique n’a que très peu contribué au réchauffement climatique. C’est pourtant le continent qui souffre déjà le plus de ses conséquences. Faut-il rappeler, par exemple, que l’année dernière le Soudan a dû affronter ses pires inondations depuis soixante ans, avec, à la clef, 500 000 personnes déplacées et 5,5 millions d’hectares de terres agricoles détruites ? Et ce n’est pas un cas isolé : selon un récent rapport sur l’adaptation en Afrique du Centre mondial pour l’adaptation (GCA), le nombre des inondations a été multiplié par cinq depuis les années 1990.

HONORER SA DETTE CLIMATIQUE C’EST, NOTAMMENT, DONNER AUX PAYS EN DÉVELOPPEMENT LES MOYENS D’ENGAGER LEUR TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Il ne s’agit pas seulement des injustices héritées du passé. Aujourd’hui encore, les pays riches restent les champions des émissions de gaz à effet de serre. En Amérique du Nord, chaque personne émet en moyenne 20 tonnes de CO2 par an, contre 10 pour un Européen. En Chine, il faut compter 8 tonnes en moyenne par individu, contre 2,6 tonnes en Asie du Sud-Est et 1,6 tonne en Afrique sub-saharienne.

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Honorer sa dette climatique c’est, de la part des pays du Nord, aider ceux en développement à s’adapter aux catastrophes climatiques qui, on les sait bien, auront lieu même dans le plus optimiste des scénarios. Il s’agit surtout, tout en finançant la diminution drastique de leurs émissions en Europe comme aux États-Unis, de donner aux pays en développement les moyens d’engager leur transition énergétique vers des sources moins polluantes. Un effort qui se chiffre en centaines de milliards de dollars.

Ces fonds existent, comme vient de le rappeler la publication des « Pandora Papers », et il faut aller les chercher là où ils sont : dans les comptes camouflés dans les paradis fiscaux des multinationales et des multimillionnaires qui, depuis des décennies, ne payent pas leur juste part d’impôt. D’autant que, dans le monde entier, les plus pollueurs sont aussi les plus riches. Le Laboratoire sur les inégalités mondial vient de montrer que 1 % des individus, les nantis, produisent 17 % des émissions mondiales de carbone, alors que la moitié de la population la plus pauvre de l’humanité (3,8 milliards de personnes), est responsable de 12 % de ces émissions.

Accord mondial au rabais

Dans ce contexte, il est rageant de voir que le monde vient de se priver de ressources financières précieuses en adoptant un accord mondial au rabais sur la fiscalité des multinationales. Imposé par les capitales du Nord, à l’issue d’une négociation qui n’a pas pris en compte les revendications des pays en développement, cette réforme a permis la mise en place d’un taux mondial minimum d’imposition modeste de 15 %.

L’objectif  ? En finir avec la dévastatrice concurrence que se mènent les États en matière de fiscalité des entreprises, dans l’illusion d’attirer plus d’investissements. Et pour cause, les taux d’imposition nominaux mondiaux sur les bénéfices des entreprises sont passés d’une moyenne de 40 % dans les années 1980 à 23 % en 2018. Si la baisse se poursuivait au même rythme, l’imposition des entreprises pourrait tomber à zéro d’ici à 2052.

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Pour stopper cette chute, les États-Unis proposaient un taux minimum mondial de 21 %, qui aurait permis de générer plus de 200 milliards de dollars en recettes fiscales. La Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT, selon son sigle en anglais), dont je fais partie aux côtés d’économistes tels Thomas Piketty, Gabriel Zucman et Jayati Ghosh, plaidait pour un taux de 25 %, qui permettrait de récupérer l’essentiel des 240 milliards de dollars qui sont perdus chaque année au titre de ce qu’on appelle pudiquement l’optimisation fiscale.

À l’arrivée, pourtant, c’est l’absence d’ambition qui a prévalu, avec un taux minimum mondial de 15 %, soit à peine plus que celui mis en place par des paradis fiscaux comme l’Irlande, et qui ne devrait pas générer plus de 100 milliards de dollars de ressources supplémentaires.

EN PLEINE PANDÉMIE MONDIALE, ET APRÈS AVOIR VU LES PAYS RICHES MONOPOLISER ET THÉSAURISER LES VACCINS, CET ACCORD FAIT DOUTER QUE LES PAYS RICHES HONORERONT SEULS LEUR DETTE CLIMATIQUE

À 15 % le risque est que ce taux minimum mondial, si bas, ne devienne la norme mondiale, et qu’une réforme qui visait à contraindre les multinationales à payer leur juste part d’impôts finisse par faire exactement le contraire, en poussant des pays où les niveaux d’imposition sont plus élevés – comme c’est le cas en Afrique – à les rabaisser pour s’aligner sur le reste du monde. De surcroît, les pays signataires de l’accord s’engagent à s’abstenir d’introduire des taxes sur les multinationales numériques. Ce n’est pas un hasard si deux pays africains, le Kenya et le Nigeria, sont parmi les seuls à avoir refusé d’endosser cet accord, justement pour ne pas avoir à abolir ces taxes et se priver de ces ressources fiscales.

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En pleine pandémie mondiale, et après avoir vu les pays riches monopoliser et thésauriser les vaccins, cet accord fait douter si les pays riches honoreront seuls leur dette climatique. L’Afrique doit aujourd’hui se faire entendre en s’alliant à d’autres pays en développement et exiger un nouveau round de négociations sur la fiscalité des multinationales qui prenne en compte les besoins du Sud. Il est désormais indiscutable qu’on ne parviendra pas à stopper le changement climatique sans s’attaquer aux inégalités, qu’elles soient entre les pays ou en leur sein.

Par Léonce Ndikumana

Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) et est coauteur de La Dette odieuse de l'Afrique. Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

Par Léonce Ndikumana

Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) et est coauteur de La Dette odieuse de l'Afrique. Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

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Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) et est coauteur de La Dette odieuse de l'Afrique. Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) et est coauteur de La Dette odieuse de l'Afrique. Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

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