Fin des paradis fiscaux : quels gains pour l’Afrique ?

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L’Afrique doit se mobiliser pour un accord fiscal international plus équitable

Léonce Ndikumana

Un « accord historique » : c’est en ces termes que les grandes puissances ont présenté le projet de réforme du système fiscal international endossé par 131 pays le 1er juillet dernier afin que les grandes multinationales commencent enfin à payer leur juste part d'impôts. Mais est-il vraiment historique ? Et surtout quels bénéfices peut en tirer l’Afrique ?

Récapitulons. En avril dernier, le Président américain Joe Biden lance un pavé dans la mare en annonçant que les Etats-Unis taxeront les filiales de leurs multinationales à hauteur de 21%. Concrètement, cela signifie que si, par exemple, une entreprise américaine déclare ses bénéfices de façon artificielle en Irlande pour payer seulement 12,5% d’impôt, elle devra verser la différence au fisc américain. Dans la foulée, Washington appelle le reste du monde à en faire de même, afin de financer la reprise économique post-Covid et en finir avec l’évasion fiscale à travers les paradis fiscaux.

C’est donc cet impôt qui vient d’être adopté à l’échelle mondiale, mais à un niveau si peu ambitieux, « au moins 15% » selon le texte, qu’il ne découragera pas les multinationales à continuer à camoufler leurs bénéfices dans des paradis fiscaux. Ce n’est pas un hasard si le Kenya et le Nigeria ont refusé de signer l’accord alors que le Forum sur l’administration fiscale en Afrique (Ataf) plaidait pour un taux d’au moins 20%.

Car se limiter à 15% c’est, aux dires même du club de pays riches que forme l’OCDE, limiter les recettes fiscales supplémentaires à 127 milliards d’euros dollars, contre 204 milliards d’euros perdus chaque année. Une récente étude montre qu’un taux minimal de 15% apporterait par exemple à l’Afrique du Sud 600 millions d’euros supplémentaires. Avec le taux de 21% prôné par Washington, ce serait 2 milliards d’euros de plus, et on passe à 3 milliards d’euros si le taux minimum était fixé à 25 % comme le propose la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), dont je fais partie, aux côtés d’économistes tels Joseph Stiglitz, Gabriel Zucman et Thomas Piketty.

Ce n'est pas le seul problème pour l’Afrique. L’accord ne s’appliquerait qu'aux entreprises dont le chiffre d'affaires annuel mondial dépasse 20 milliards d'euros avec un seuil de rentabilité d'au moins 10 %, et la règle de distribution des revenus est défavorable aux pays en développement. Sans compter que la majorité des administrations fiscales africaines n’ont pas les moyens financiers, techniques et humains de mettre en place cette réforme complexe.

Enfin, l’accord exige des pays signataires qu’ils renoncent à des mesures unilatérales, telles que des taxes sur les services numériques. Des pays comme le Kenya et le Nigeria, qui tentent de taxer une partie de cette activité numérique, seront contraints de renoncer à des revenus réels en échange d'une redistribution illusoire de ressources fiscales à l’échelle mondiale.

Mais tout n’est pas perdu. L’accord n’est pas définitif, et les négociations se poursuivront jusqu'en octobre. En Afrique, nombreux sont ceux qui ont compris à quel point faire payer les multinationales leur juste part d’impôt était crucial pour remplir les caisses d’Etats exsangues. Ils peuvent aujourd’hui s’allier à un groupe de pays du Nord – les Etats-Unis et l’Allemagne – comme du Sud – l’Argentine, le Mexique et l’Indonésie- pour exiger une réforme plus équitable. En clair, un taux minimum plus ambitieux, et une répartition des revenus fiscaux plus simple, en fonction de l’endroit où se trouvent les clients des multinationales, mais aussi leurs employés et les ressources qu’elles utilisent. C’est une occasion unique, un siècle après la mise en place de notre système fiscal international, d’écrire une nouvelle page d’histoire, en allant au-delà des alliances traditionnelles au Nord et au Sud. 

Léonce Ndikumana est Professeur émérite d'économie et directeur du programme de politique de développement africain à l'Institut de recherche en économie politique (PERI) de l'Université du Massachusetts Amherst. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT). Il est aussi Professeur Honoraire à l’Université de Cape Town et à l’Université de Stellenbosch en Afrique du Sud.

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