L'accord de l'UE sur l'impôt minimum mondial est un pas en avant, mais ce n'est pas suffisant

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La Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT) salue l'accord conclu par les États membres de l'Union européenne pour mettre en œuvre au niveau de l'UE le volet de l'imposition minimale effective de 15 %, connu sous le nom de deuxième pilier, de l'« accord fiscal mondial » du G20/OCDE. Il s’agit d’un premier pas vers une réforme complète de la fiscalité internationale des multinationales.

 Néanmoins l’ICRICT rappelle qu’elle plaide pour un taux d'imposition minimum de 25%, et la Commission craint que l'accord sur un taux minimum mondial aussi bas ne devienne la norme mondiale, et qu'une réforme qui avait pour but de s'assurer que les multinationales paient leur juste part finisse par faire exactement le contraire.

 Les pays en développement, qui dépendent relativement plus des revenus de l'impôt sur les sociétés comme source de recettes publiques par rapport aux économies avancées et qui subissent les pertes les plus importantes dues à l'abus de l'impôt sur les sociétés par rapport à leurs recettes fiscales actuelles, seraient les grands perdants. Il en va de même pour les petites et moyennes entreprises des pays développés, qui ne peuvent pas profiter des stratégies fiscales mises en place par les multinationales, et sont donc désavantagées car elles paient le plein taux local.

 Dans l'ensemble, l'accord fiscal mondial actuel continue à ne pas refléter une bonne compréhension de l'économie de l'imposition des bénéfices des entreprises.  Même avec l'accord, le système d'imposition des sociétés multinationales continuera à renforcer les inégalités mondiales. 

 En l'absence de solutions durables, les pays ne devraient pas être empêchés de continuer à prendre des mesures alternatives (comme l'exige normalement l'accord), mais devraient pouvoir prendre des mesures pour défendre leurs rentrées fiscales, notamment conformément aux objectifs généraux du deuxième pilier, en laissant la réconciliation des différentes approches à plus tard, avec l'objectif de "niveler par le haut" (c'est-à-dire en utilisant la définition la plus complète et un taux plus ambitieux).

 Les négociations en vue d'une réforme plus complète doivent néanmoins se poursuivre sous la présidence du G20 de l'Inde en 2023 et du Brésil en 2024 et, suite à la récente approbation de la résolution du Groupe africain pour une coopération fiscale internationale plus inclusive et efficace, aux Nations Unies dans un format différent qui reconnaît l'échec du processus 2019-2022 à donner une voix efficace aux pays en développement. Cela doit finalement servir de plateforme pour un nouveau cycle de négociations afin d'aboutir à un nouvel accord fiscal mondial pour le monde.

 

Joseph Stiglitz, professeur d'économie à l'Université de Columbia et coprésident de l'ICRICT déclare :

« La décision des pays de l'Union européenne de surmonter leurs problèmes politiques internes et d'adopter enfin un impôt minimum mondial de 15% est une bonne nouvelle. Mais il est crucial que tous les autres pays rejoignent l'accord si nous voulons mettre fin à la concurrence fiscale entre les pays pour attirer les capitaux, où les seuls gagnants sont les multinationales. Et nous devons être plus ambitieux : convenir d'un impôt minimum mondial est un pas dans la bonne direction, mais 15% est bien trop bas. Cela pourrait même pousser plusieurs pays à baisser leurs impôts sur les sociétés, ce qui est le contraire de l'effet recherché. Au sein de l'ICRICT, nous soutenons un taux de 25%, ce qui réduirait la pression exercée sur les pays d'accueil pour qu'ils offrent des incitations à faible imposition aux entreprises étrangères et mettrait fin à la course au moins disant, avec les effets dévastateurs que l'évasion fiscale des multinationales a eu sur les finances publiques des pays du monde entier ».

 

Jayati Ghosh, professeure d'économie à l'Université du Massachusetts à Amherst et coprésidente de l'ICRICT déclare :

 

« La décision des pays européens d'adopter enfin le principe d'un taux minimum mondial ne montre qu'une chose : lorsque la volonté politique existe, tout est possible. Cette volonté politique doit maintenant aller beaucoup plus loin, et c’est pourquoi les pays doivent adopter un taux minimum bien plus élevé que les 15% mentionnés dans l'accord de l'OCDE. Il est également temps de revoir toute la question de la gouvernance des négociations fiscales internationales, en prenant réellement en compte les besoins des pays en développement. Les pays africains l'ont clairement montré récemment en demandant que le débat ait lieu au niveau de l'ONU, et pas seulement au sein du club des pays riches de l'OCDE. Cette demande doit être entendue, et un cycle de négociations véritablement inclusif doit être relancé".

 

Martín Guzmán, ancien ministre de l’Économie de l'Argentine et membre de l'ICRICT déclare :

« L'année dernière, de nombreuses d'économies en développement et émergentes, dont mon pays, l'Argentine, ont signé l'accord fiscal mondial négocié sous l'égide de l'OCDE et du G20, même si nous savions que cet accord n'était pas assez ambitieux pour fournir des revenus durables significatifs à tous les pays. Mais nous avons préféré un accord insuffisant plutôt que pas d'accord du tout, car les principes allaient dans la bonne direction et parce que les pays ont désespérément besoin de ressources après la pandémie. Depuis un an, la mise en œuvre de cet accord est bloquée par des problèmes politiques internes dans les économies avancées qui sont pourtant celles qui obtiendraient les plus grands bénéfices, ce qui a rendu la situation absurde. Nous nous félicitons donc de la décision prise par les pays européens aujourd'hui. Mais cet accord reste insuffisant face à la crise des finances publiques que connaissent nos pays. Les pays en développement doivent avoir une représentation plus efficace à la table des négociations pour pouvoir s'attaquer à l'un des problèmes les plus toxiques de la mondialisation, celui de l'évasion fiscale des multinationales, et ainsi construire une base de recettes fiscales plus appropriée pour relever les défis sociaux et économiques auxquels nous sommes confrontés ».

Wayne Swan, ancien trésorier et vice-premier ministre d'Australie et commissaire de l'ICRICT déclare :

« Après une année de blocage, la décision des pays européens d'adopter un taux minimum comme le stipule l'accord de l'OCDE signé l'année dernière est un pas dans la bonne direction. Je suis les négociations mondiales depuis leur début, et je suis heureux de constater qu'il est désormais largement admis que nous ne pouvons pas avoir de sociétés prospères, résilientes et inclusives sans services publics de qualité et sans politiques sociales qui ciblent les plus vulnérables. C'est le seul moyen de défendre nos démocraties contre les tentations autoritaires et populistes. Mais pour cela, les pays doivent aller plus loin et continuer à travailler à un accord plus complet ».

ICRICT